Messe chrismale – 24 mars 2016

Messe chrismale
Cathédrale Notre-Dame de Rouen – Jeudi Saint 24 mars 2016

Monition d’ouverture

Frères et sœurs, alors que des attentats font œuvre de morts, instaurent la peur et tentent de diviser l’humanité, nous voici, rassemblés pour accueillir l’amour et la miséricorde. Jeunes, éducateurs et enseignants, fidèles, laïcs serviteurs généreux de nos communautés et de l’Evangile, je suis heureux de vous retrouver au seuil des trois jours saints. Ils nous mènent à l’espérance de la résurrection. La longue procession des diacres, des prêtres, des moines marque notre célébration ; nous n’oublions pas notre archevêque émérite, Mgr Jean-Charles Descubes, en union avec nous depuis La Rochelle. Ils sont vos serviteurs, malgré leur péché. Vous les aimez bien, ils vous aiment beaucoup !

Ouvrons notre cœur à cet amour qui vient de Dieu : que soit parfaite notre unité ! Faisons silence pour ouvrir à Dieu nos vies, nos cœurs, pour lui faire toute la place qu’il souhaite prendre et demandons pardon humblement.

Lectures de la messe : Livre d’Isaïe (61, 1-3a.6a.8b-9) ; Psaume 88 ; Livre de l’Apocalypse (1, 5-8) ; Evangile selon saint Luc (4, 16-21)

Homélie

« Nous sommes le visage de Jésus »

Frères et sœurs, l’heure de la miséricorde sonne ! Collégiens, lycéens, professeurs, chefs d’établissement, diacres, prêtres, consacrés, fidèles, l’heure de la miséricorde sonne comme sonne la récréation : il est temps de sortir !

L’Evangile le proclame : l’heure est à « annoncer aux captifs leur libération, aux aveugles qu’ils retrouveront la vue » ; l’heure est à « remettre en liberté les opprimés, et à annoncer une année favorable accordée par le Seigneur » (Lc 4, 18-19). Voilà la miséricorde de Dieu.

Qui sont les captifs, les aveugles, les opprimés ? Parmi les élèves, quelques-uns se disent sans doute : « qu’est-ce que je fais ici ? Suis-je obligé ? » Quelques prêtres sont peut-être venus par obligation, car un peu plus fatigués que l’an dernier. D’autres peuvent dire : je ne vois pas … et pas seulement parce qu’ils sont au fond de notre grande cathédrale, je ne vois pas clair dans ma vie, je ne vois pas le sens profond de l’aventure humaine, à commencer par celle de ma vie.

Accueillons cela, nos enfermements pour ne pas dire captivités, nos brouillards pour ne pas dire aveuglements, nos pesanteurs pour ne pas dire oppression. Accueillons-les … à condition de nous décentrer de nous-mêmes, comme vous l’avez fait pendant le carême. Vous avez ouvert votre cœur vers des plus pauvres, partageant des bols de riz, pensant aux chrétiens persécutés ; aux hommes, aux femmes, aux enfants parfois, qui errent sur la terre en quête de toit, de nourriture, de travail. Evidemment les victimes des attentats sont dans notre esprit.

L’heure de la miséricorde sonne pour le monde, comme elle a sonné à Nazareth. Jésus est chez lui, dans la synagogue de son enfance, comme vous êtes dans votre cathédrale. Il ne faut pas aller loin pour rencontrer le captif, l’aveugle ou l’opprimé. Qui de nous peut penser être profondément libre et clairvoyant ? Notre péché limite notre liberté et obscurcit notre vie : celui de nos mensonges, de notre paresse ou de notre étroitesse, celui d’une société idolâtre de l’argent, du sexe, ou du pouvoir.

L’heure de la miséricorde sonne. Jésus apparaît : « aujourd’hui » (Lc 4, 21), « le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne nouvelle » (Lc 4, 18). En Jésus, la promesse prend chair. Dieu n’a pas envoyé un message, fut-ce un texto ou un tweet ; Dieu envoie son Fils, né de la Vierge Marie. Dans quelques minutes, je vais bénir l’huile pour les malades, l’huile pour les catéchumènes, et consacrer l’huile parfumé, le saint-chrême. Par l’onction, nous devenons des messages en chair et en os, malades, commençants ou fidèles. Par l’onction de l’Esprit Saint, nous entrons dans la joie du Fils, envoyé du Père. Baptisés, confirmés, le Saint-chrême nous marque de l’Esprit Saint, le don de Dieu ; ordonnés, le Saint-chrême nous configure à Jésus, visage de la miséricorde du Père.

Les conseils de classe sont utiles, comme les programmes scolaires ; les orientations pastorales sont utiles comme un synode. Mais ce ne sont que des messages qui ne sont rien sans les messagers. La miséricorde n’est pas un programme, c’est un visage. Celui de Jésus, un visage dont le regard me recrée, recrée le monde. L’heure de la miséricorde sonne comme une recréation.

Ce matin, renouvelons notre foi dans l’incroyable décision de Dieu : il nous choisit, un par un, et tous ensemble, chacun à notre place dans le corps du Christ, tête comprise. Cela s’appelle la vocation. Frères et sœurs, l’humanité n’a pas tant besoin de belles idées ou de beaux textes, que de visages qui sonnent pour elle l’heure de la miséricorde.

« Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui » (Lc 4, 20). Pendant trois jours, nous regarderons Jésus dans l’accomplissement de sa mission. Ne cherchons pas de message, accueillons son visage. Ne détournons pas notre regard et suivons-le jusqu’à sa rencontre avec Marie-Madeleine au jour de la résurrection, en passant par le dernier repas, la croix et le tombeau.

Frères prêtres, frères diacres, bien des personnes vous demandent vos idées, vos paroles, un message, un service. A travers ces demandes, c’est votre personne qu’ils cherchent, des reflets du visage de la miséricorde de Dieu. Votre réponse, c’est le don de votre vie à la manière de Jésus. « Ceci est mon corps livré pour vous ». Cette phrase les prêtres la disent comme le geste d’amour ultime de notre maître ; cette phrase, nous la vivons comme notre vocation à aimer. Quel bonheur pour les prêtres de la prononcer au nom de Jésus, en leur nom et pour toute l’Eglise, malgré leur indignité ! Quelle joie d’accueillir le corps oint et livré ! Quelle joie alors de communier au cœur de Jésus en lui donnant une humanité et un visage pour aujourd’hui ! Oui, chacun et tous ensemble, nous sommes le visage de Jésus. Avec crainte mais aussi grand bonheur, accueillons à nouveau l’onction, « l’huile de joie » promise.

 

✠  Dominique  Lebrun

Archevêque de Rouen.