Homélie de la célébration de clôture – cathédrale Notre-Dame

Célébration de clôture de l’année de la Miséricorde
Dimanche 20 novembre 2016 – Cathédrale Notre-Dame de Rouen

Lecture : évangile selon saint Matthieu 25, 31-46

Homélie

Frères et sœurs, quelle année ! Si j’ose dire, quel Pape aussi ! Soyons aussi francs que lui : qui aurait parié un denier sur le thème de la « miséricorde » il y a dix ou vingt ans ! Nous le comprenons maintenant, St Jean Paul II et le Pape Benoît préparaient ce moment. L’Esprit Saint aussi. Plus encore que le mot de « miséricorde », sa réalité est remise en au centre de la vie et de la mission de l’Eglise.

Empêtrés entre nos grands désirs de liberté maximum et de justice absolue, et la réalité bien différente des inégalités croissantes et des pauvretés rongeuses, nous pourrions, nous pouvions être tentés par le découragement, par le repli sur soi, ou par des positions idéologiques endurcies.

Voilà que la miséricorde a ouvert de nouvelles portes, celle de la tendresse d’abord : « Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours » dit le psalmiste (24, 6). Inscrite sur la porte de l’année sainte, cette prière s’adresse à Dieu, et au plus profond de nos cœurs. La tendresse s’oppose à la dureté. Le Pape François ne manque pas de tempérament et doit sûrement lutter pour être tendre au quotidien. Mais il nous le rappelle sans cesse, en substance : craquez devant le pauvre et devant votre pauvreté. Laissez parler votre cœur, vos entrailles. Oui, Dieu et notre cœur ne font qu’un. Car notre cœur est fait par Dieu et pour Lui.

Qui de nous n’a pas aimé donner un verre d’eau, ouvrir sa porte à un étranger, visiter un malade, couvrir un enfant, demander pardon ? La tendresse tisse au quotidien l’amour. Par elle, la résurrection n’est plus une idée mais des joies quotidiennes. N’ayons pas peur de cette tendresse qui donne à la justice sa vérité, sa profondeur, son horizon : l’amour. Comme une suite à cette porte de la tendresse ouverte toute grande, j’ai décidé que le 3ème dimanche de carême serait un dimanche pour se demander pardon en communauté par un geste ou un simple écrit. La tendresse fera craquer nos manquements à l’amour.

La miséricorde a ouvert aussi la porte à une refondation de notre foi. « Je suis la porte » (Jn 10, 9), dit Jésus, l’autre phrase écrite sur notre porte sainte. La pauvreté, la nudité, la faim et la soif sont les siennes. Nous fermons la porte, mais en comprenant que l’étranger, celui qui a faim et soif, le prisonnier et le moribond sont autant de portes ouvertes vers le Royaume, vers son Royaume.

Nos communautés vivent la miséricorde. Cela apparaîtra davantage en établissant dans nos comptes qu’au moins 1% des dons dans nos paroisses tracent son chemin.  Il ne s’agit pas de nous glorifier mais de rendre grâce pour cette exigence d’amour renouvelé et vécu en commun à la suite de Jésus. Nous ne sommes pas propriétaires de la miséricorde, d’autres la vivent, nous sommes juste à l’école de la miséricorde, et heureux de l’être. Les dons ainsi dépensés seront miséricorde s’ils sont accompagnés par une simple mais véritable rencontre, comme celles que Jésus décrit dans l’Evangile. Et notre foi sera vivante !

Refonder notre foi, c’est aussi accueillir la miséricorde dans le sacrement du pardon. Les prêtres ont eu la joie de dire souvent, au nom de Jésus, « Je te pardonne ». Joie d’entendre cette parole, joie qui continuera quand se lèveront d’autres vocations de prêtres.

A la suite de la Vierge Marie, nous ne cessons de rendre grâce pour la miséricorde qui s’étend d’âge en âge, selon la nouvelle traduction liturgique que nous adoptons. Des signets collectés dans les paroisses seront apportés à l’autel où Jésus eucharistie, Jésus offrande et action de grâce, sera présent. Sur ces signets, il y a nos prières, c’est-à-dire notre engagement pour les âges à venir : « N’oublions pas les merveilles de Dieu, que tous les âges à venir le connaissent » ! Tout à l’heure, dans le silence, ouvrez complètement la porte de votre cœur et de votre foi à Jésus : dites-lui merci, dites-lui encore pardon, dites-lui s’il te plait, en tout amour. Confiez-lui vos résolutions, votre vie, l’avenir de vos œuvres de miséricorde. Renouvelez la consécration de votre baptême.

La miséricorde a ouvert une autre porte : celle de la joie naissant de l’humilité. Nous sommes tout petits devant l’immensité de la tâche que Dieu nous confie. A la suite de la Vierge Marie, soyons d’humbles servants, chacun à notre place. Une ultime tentation consisterait à peser le bien et le mal accompli, comme si le diable était aussi fort que Dieu, ou pouvait rivaliser avec lui. Nous serions perdus. L’assassinat du Père Jacques Hamel nous conduit à ce mystère de l’humilité où la puissance de Dieu s’accomplit dans ce qui peut apparaître une défaite.

Jésus le dit clairement : « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous » ; Le Royaume est préparé pour nous ; le feu éternel, lui, est préparé pour le diable et ses anges. Aucun d’entre nous, aucun des enfants des hommes n’est le diable en personne, aucun n’est fait pour le feu éternel ! Allons donc à tous !

« Soyez miséricordieux, comme le Père est miséricordieux ». Frères et sœurs, de multiples autres portes s’ouvrent dans vos cœurs, peut-être secrètement … vous êtes les bénis du Père … vous serez des bénédictions pour vos frères et sœurs !

 

✠  Dominique Lebrun
Archevêque de Rouen.