3° dimanche ordinaire – Esteville 22 janvier – 10° anniversaire de la mort de l’abbé Pierre

Troisième dimanche du temps ordinaire (A)
Messe à Esteville – dimanche 22 janvier 2017
à l’occasion du 10ème anniversaire de la mort de l’abbé Pierre

Monition d’ouverture

Merci au Père Luc-Marie Duprey et à la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Bosc-le-Hard de nous accueillir pour cette célébration. Nous venons de passer devant la tombe de l’abbé Pierre, et devant celle de ses compagnons d’humanité.

En venant dans cette petite église, nous faisons mémoire de la foi de l’abbé Pierre qui l’a conduit sur bien des chemins, jour et nuit, sa foi qui ne l’a jamais écarté de la vie du monde, de ses épreuves en particulier. La clé d’un logement a été déposée sur la terre du cimetière. Nous l’apporterons sur l’autel avec le pain nécessaire à la vie des hommes. La messe ne sert à rien d’autre qu’à nous rappeler ce qui est nécessaire à tous : l’amour.

Soyez tous les bienvenus quelle que soit votre foi, et quel que soit votre chemin de vie. La communauté catholique vous accueille, et vous respecte profondément. Pour l’amour de l’humanité, Jésus a donné sa vie. C’est en fait Jésus qui vous accueille, si vous le voulez bien. Il nous adressera sa parole et nous donnera sa vie au cours de cette messe.

 

Lectures de la messe :

Lecture du livre du prophète Isaïe (8, 23b-9,3) ; Psaume 26 ; Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens (1 Co 1, 10-13.17) ; Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (4, 12-23)

Homélie

« Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée »

Frères et sœurs, l’abbé Pierre est une lumière, est encore une lumière pour ceux « qui habitent le pays de l’ombre de la mort ». En 1954, le froid de la nuit déploie l’ombre de la mort. En 1954, une lumière jaillit. A vrai dire, l’abbé Pierre n’a pas attendu le micro de RTL. Dès 1949, il fonde avec Georges la première communauté Emmaüs à Neuilly-Plaisance.

Dans l’Eucharistie de ce village, nous voulons rendre grâce à Dieu. Mais la lumière s’est-elle éteinte ? Les lumières seraient-elles intermittentes ? Essayons d’y voir clair, si j’ose dire, à la lumière de l’Evangile.

Attendons-nous un autre abbé Pierre pour que cessent les morts de la rue ? Saurons-nous entendre l’appel du Pape François pour que des bateaux de fortune ne deviennent plus des cercueils flottants ? Des micros voudront-ils bien relayer l’appel des enfants à naître, victimes de détresse psychologique, morale sinon matérielle ?

Autant de questions que je me pose ce matin. L’abbé Pierre lui-même semble bien se l’être posé. Echec ou réussite ? Demi-échec ou demi-réussite ? Sur sa tombe, ses simples mot : « Il a essayé d’aimer ». Il n’est pas le seul. Nous connaissons les uns et les autres beaucoup de lumières, plus ou moins grandes, mais, semble-t-il, toujours intermittentes. Mon cœur, je vous l’avoue, est souvent habité d’élans généreux, puis de repliements sur soi.

En fait, Jésus propose un autre chemin que celui qui brille, un chemin qui relie les lumières et les alimentent. Ecoutons bien l’Evangile de ce dimanche. Il dit deux choses importantes :

Premièrement, « A partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : ‘convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche’ ». Se convertir, ce n’est pas adopter une autre religion comme on changerait d’habit ; se convertir, c’est retourner son cœur.

Jésus propose de retourner notre cœur « car le Royaume des Cieux est tout proche ». Bien souvent, nous baissons les bras, et en baissant les bras nous éloignons le Royaume des cieux qui est le royaume de paix, de justice et d’amour. Jésus propose de voir le Royaume des Cieux s’approcher de nous.

En fait, le Royaume des cieux, c’est lui, l’envoyé du Père. En éloignant Jésus, nous éloignons le Royaume des cieux, nous éloignons la source de toute lumière. L’abbé Pierre ne voulait pas éloigner la source. S’il ne fait pas de doute que l’abbé Pierre a voulu une œuvre non confessionnelle, sans croyance qui serait une frontière, et Dieu sait si nous avons besoin de le redire : sans croyance qui serait une frontière ! Mais tout le monde sait la source qui était la sienne, sa foi en Jésus, sa prière. Il n’a pas écarté ni son habit ni sa prière de prêtre. Il l’a même intensifié en fréquentant les moines de Saint-Wandrille, non loin d’ici. Sur sa tombe, Jésus en Croix. En éloignant Jésus, les injustices progressent, et réciproquement. En fréquentant Jésus, nos bras ne baissent plus, comme les bras de Jésus demeurent ouverts sur la croix.

Deuxièmement, Jésus appelle. « Il vit deux frères … et leur dit : Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes … il vit deux autres frères … il les appela … laissant la barque et leur père, ils le suivirent ».

Jésus appelle et propose un changement de vie. Il ne propose pas seulement une amélioration, quelques ajustements. Les compagnons le savent bien : par exemple, soit ils renoncent à l’alcool, soit ils ne peuvent plus vivre dans la communauté. Notre société est-elle prête à entendre des changements de vie, et de programme de vie ? Nous discutons de l’état d’urgence mais nous ne renonçons pas au commerce des armes. Nous voulons le développement des pays du sud, mais nous ne remettons pas en cause l’exploitation honteuse de leur richesse. Nous voulons l’amitié entre les peuples mais nous n’imaginons pas autre chose que des frontières pour protéger nos niveaux de vie. Nous voulons promouvoir la dignité de la femme et nous inventons un droit à supprimer un enfant à naître pour résoudre les conséquences de violence qu’engendrent pornographie et immoralité.

Frères et sœurs, le 10ème anniversaire de la mort de l’abbé Pierre nous invite à l’humilité et à la joie, à l’humilité de notre condition humaine, à la joie de Dieu qui ne baisse pas les bras. Il continue d’appeler, il continue de retourner nos cœurs, il continue de nous aimer. Ce que nous célébrons dans l’eucharistie, c’est l’amour aimé et continué.

Merci à l’abbé Pierre, et à tous ceux qui aiment l’amour.

✠  Dominique Lebrun
Archevêque de Rouen.