Homélie du 4ème dimanche du temps ordinaire de l’année C

 « De Nazareth que peut-il sortir de bon ? »

Vous vous souvenez peut-être de cette question de Nathanaël (Jn 1) à son ami Philippe qui venait le trouver pour lui dire : « Nous avons trouvé celui dont parlent Moïse et les prophètes. Le Messie tant attendu, c’est Jésus de Nazareth, fils de Joseph. » Nathanaël faisait-il référence au village qui n’était même pas cité une seule fois dans toute l’histoire d’Israël ? ou considérait-il les gens de Nazareth avec un peu de mépris ? Le comportement haineux des habitants de Nazareth envers Jésus, comme nous l’avons entendu dans l’évangile de ce dimanche, semblait lui donner raison.

En effet, ce qui est assez marquant, c’est ce changement de comportement des villageois de Nazareth envers Jésus. L’Évangile nous dit qu’au début, les nazaréens sont tous admiratifs des paroles qui sortent de la bouche de Jésus : « Lorsque Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. »  Et puis, ils sont ceux qui, à la fin, sont furieux contre lui et veulent déjà le mettre à mort. « À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas. »

1 Qu’est-ce qui a poussé les habitants de Nazareth à mettre Jésus hors de la ville au point de vouloir le tuer ?

 2 En quoi cette page d’Evangile peut nous éclairer   aujourd’hui dans notre manière d’accueillir et de  reconnaitre, Jésus le Christ, dans nos vies, au sein de nos communautés chrétiennes, comme au cœur du monde  ?

– Pour répondre à ces deux questions, j’ai imaginé me rendre à Nazareth et j’y ai rencontré Rachel, une femme effectivement âgée car elle avait bien connu Jésus et sa famille. Croyez-moi ou pas, elle m’a éclairé pour comprendre ce qui s’était vraiment passé. Je vous livre son témoignage.

« Ah, ce Jésus, ce n’est pas pour rien qu’on l’appelait le Nazaréen. Il a grandi dans ce village.  Il y a vécu une trentaine d’années. Il s’y est fait des amis, mes fils ont grandi avec lui. C’est vrai que déjà, il avait des attitudes qui auraient dû nous éclairer et nous mettre la puce à l’oreille.

Il parlait un peu déjà comme un rabbi. Il aimait faire des comparaisons avec les fleurs des champs, les animaux de la ferme, pour qu’on comprenne encore mieux les choses du ciel. Il disait, avec un ton poétique et rêveur, le royaume de Dieu c’est comme ceci, c’est comme cela…

Vous l’auriez entendu, il priait comme si Dieu était son père, il disait ‘Abba’. Dans notre langue, ça veut dire ‘petit papa’. Souvent, il se retirait loin du village pour se retrouver dans le silence. Il aimait aussi dessiner sur le sable pendant que les gens parlaient.

À l’école de la synagogue, il préférait les multiplications aux additions et il ne supportait pas les soustractions. Sur la place du village, il défendait toujours les plus faibles, les plus petits étaient ses préférés. Il avait toujours un petit mot pour Ruben le mendiant et rendait souvent visite à Rebecca, Josué, Nathan, des personnes malades.

On a bien connu son père Joseph. Il en a monté des charpentes, oh mon Dieu ! Toujours prêt à donner un coup de main, sans jamais dire du mal de qui que ce soit, à la limite un peu trop silencieux, un brin taiseux. 

Et sa mère Marie ! Quelle femme ! Toujours en prière, comme si elle gardait un secret dans son cœur. Au service de tous, observant les moindres choses, à l’affut de tout, afin que personne ne manque de rien, pas même un pichet de vin.  Une vraie maman, en somme.  

Et puis voilà, aux environs de ses trente ans, le gamin, oh pardon Jésus, est parti. C’est le sens de la vie, vous allez me dire. Mais on pensait qu’il allait reprendre l’atelier de son père. Ça dû être une déception pour ses parents, mais apparemment, ils s’y attendaient. En fait, depuis un retour de pèlerinage à Jérusalem, il me semble bien que Jésus avait douze ans, on raconte même qu’il avait fugué, mais qu’il avait surtout étonné les grands prêtres du temple et les docteurs de la Loi. À leur retour, on a bien vu que quelque chose avait changé. Personnellement, je voyais à nouveau, dans le regard de Marie et de Joseph, le visage illuminé de leur jeunesse, c’était quelques jours après leurs fiançailles, exactement neuf mois avant la naissance du petit, comme s’ils avaient vu un ange !  

Alors vous comprenez, lorsque Jésus est revenu à Nazareth, quelques mois après son départ, il est passé pour celui qui avait réussi. Il avait du succès et il faisait parler de lui. Nous n’étions pas peu fiers. C’était le régional de l’étape : ‘Nous avions appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm, les miracles qu’il avait faits’. Sa réputation l’avait précédé. Mais au final, sa venue nous avait dérangés, agacés, et provoqué de la colère et de la jalousie.

Vous vous rendez compte, il était resté près de trente ans à Nazareth sans opérer de miracles dans sa patrie, son village, lui, l’enfant du pays, sans prononcer de paroles prophétiques. Et le voilà qui faisait des choses extraordinaires ailleurs, mais pas chez nous. Pouvez-vous comprendre, à ce moment là, notre amertume, notre irritation, et la colère qui est montée de notre cœur ?

Le comble, c’est quand il nous a dit : ‘Nul n’est prophète en son pays’ et que Dieu avait préféré se révéler à la veuve de Sarepta et à Naaman le Syrien, des non juifs, plutôt qu’à nous les vrais fils d’Abraham. Là, on a pris une vraie claque, et on ne l’a pas supporté. Notre sang n’a fait qu’un tour, vous connaissez la suite…

Mais vous savez, nous n’avons pas été les seuls à agir de la sorte ! à Jérusalem, la foule l’avait acclamé avec des branches de rameaux en criant ‘Jésus, fils de David, notre Roi’, et huit jours après, il était mis à mort sur la croix.   

C’est à ce moment-là que J’ai compris, qu’il ne pouvait rien faire chez nous, car nous n’avions pas le cœur disposé à le recevoir, à croire en lui. On pensait qu’en revenant dans son village d’origine, qu’il allait tout changer, changer nos vies, nous enlever tous nos soucis. Il était prophète ! Nous, on cherchait un magicien. On voulait un roi qui nous libère des Romains. Il venait libérer nos cœurs de tout mal.

Nathanaël, dont j’ai appris qu’il avait suivi Jésus avec une bande de douze garçons, disait que rien de bon ne pouvait sortir de chez nous. En fait, le Fils de Dieu était au milieu de nous, nous ne l’avons pas vu.  ‘Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu’. »

Alors, cette femme continuait de me dire :

« Alors père Jacques, je compte sur vous pour dire à vos paroissiens qu’ils n’agissent pas comme nous, qu’ils se convertissent pour toujours mieux accueillir Jésus. Je sais qu’ils ont reconnu Jésus, sinon ils ne seraient pas à la messe, mais dites-leur bien qu’ils ne désespèrent pas de lui, qu’ils gardent la foi en lui, qu’ils le reconnaissent dans le visage de tous leurs frères et sœurs. Qu’ils n’attendent pas de lui qu’il fasse le travail à leur place, surtout qu’ils ne se mettent jamais en colère contre Jésus, même si parfois on se demande pourquoi il n’intervient pas pour éviter une catastrophe, un drame. Mais surtout, qu’ils ne se mettent pas en colère entre eux, qu’ils ne se mettent jamais en avant, qu’ils ne demandent pas des choses pour eux-mêmes, mais pour les autres et pour l’humanité entière. »

Oui, Rachel je leur dirai, mais je crois qu’ils vous ont entendue …

Voyez-vous de retour de Nazareth [comme vous l’avez compris], scruter les écritures et méditer la Parole, c’est toujours faire l’expérience d’un pèlerinage en Terre sainte.

J’ai compris que nous pouvions agir malheureusement comme les gens de Nazareth en nous accaparant nous-mêmes Jésus, en lui demandant de justifier nos attitudes, nos comportements, lui demandant d’accomplir notre volonté et non celle de Dieu.

Jésus n’est pas retourné dans son village d’origine pour plaire ou chercher à plaire, pour se faire aimer et admirer, mais pour annoncer le royaume de Dieu. La dernière phrase est riche de sens : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. » Devant l’incompréhension des gens et leurs propos accusateurs, le Christ n’entretient pas de rancune, il supporte tout, il endure tout, comme l’écrit saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens dans la seconde Lecture. Son cœur n’est pas replié sur lui-même comme les gens de la synagogue. Seul un cœur qui aime peut demeurer aussi dans cette paix intérieure qui permet d’affronter tout ce qui advient et que l’on n’a pas choisi. Il annonce ainsi sa passion et ce que sera son attitude face à ses accusateurs. Comme le dit la première Lecture dans le livre de Jérémie, comme une ville fortifiée, comme un rempart de bronze, car le Seigneur Dieu son Père est avec lui. Cette force, il la reçoit du Père.

Ainsi, l’attitude de Jésus à Nazareth éclaire notre mission de baptisés car il nous enseigne que le salut est pour tous. Il vient pour tous. C’est sa victoire définitive, c’est le sens de notre mission. Et si nous traversons des épreuves [et l’actualité prochaine rappellera que vous en avez traversé une dramatique à St-Etienne], rendons grâce de ne pas être emportés par la haine. Si d’autres mènent des combats pour la justice, l’accueil des réfugiés, le dialogue interreligieux, reconnaissons, là aussi, la venue de Jésus. Ne rajoutons pas de l’incompréhension et ne faisons pas d’amalgames à ces engagements. Comprenons qu’ils sont dans la droite ligne de l’Évangile. Si nos sensibilités s’expriment différemment pour témoigner de notre foi, ne manifestons pas de rivalités ou de moqueries, travaillons à la communion.

C’est tout cela de la vie du Christ que nous devons accueillir pour vivre notre foi au cœur du monde, au cœur de nos vies , au sein de nos communautés et de nos responsabilités. Jésus est là et il nous soutient face à nos tentations de repli sur soi et de rejet. Il nous relève quand nous chutons.  Laissons-nous habiter par sa présence, son amour pour chacun de nous.  Il est au milieu de nous.  Nous le reconnaissons maintenant à la table de sa Parole et à la fraction du pain. Amen.