Prédication au temple de Luneray- Eglise Protestante Unie de France – Dimanche 15 janvier 2017

Culte dominical au temple de Luneray (Seine-Maritime)
Eglise Protestante Unie de France
Dimanche 15 janvier 2017

Jn 1, 29-34

Prédication

« Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 29).

« Tu verras l’Esprit descendre du ciel comme une colombe » (Jn 1, 33).

Frères et sœurs, le règne animal fait donc partie de l’Evangile, outre le règne végétal –que l’on songe aux arbres petits et grands, champ de blé, d’olivier ou autres plantes présents dans l’Ecriture vétéro et néotestamentaire – ; outre le monde minéral avec ses pierres ou ses montagnes. Jean le Baptiste nous introduit dans cet univers où prend place « Celui qui vient derrière lui » (cf. 1 Jn 30).

Que signifie cet appel aux réalités infrahumaines pour nous parler des choses célestes ? Peut-être pouvons-nous déjà reconnaître que l’aventure divine rejoignant l’aventure humaine ne nous distrait pas de l’ensemble de la création. Plus encore, puisqu’il s’agit de l’accueil du Messie lui-même, pouvons-nous ouvrir l’horizon de la compréhension du salut. Il vient pour « enlever le péché du monde », c’est-à-dire du cosmos qui est devenu « le monde », le monde mondain, si j’ose dire, pour reprendre la note péjorative que Jean l’Evangéliste donne au mot « monde ». Le monde pour lui est le cosmos troublé.

« Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu » (Jn 1, 34)

Oui, le Fils de Dieu vient investir le champ de la création. Quoi de plus naturel … ou de plus surnaturel, puisqu’il s’agit de l’œuvre de Dieu ? Que signifierait de la part de Dieu d’engager son amour à moitié ou partiellement ? S’il vient sauver l’homme, comment pourrait-il ignorer notre milieu de vie ? Des théologiens –je pense à la tradition orthodoxe récente- sont très sensibles au continuum de l’action de Dieu correspondant au continuum de notre humanité et des éléments qui l’entourent. Où s’arrête mon corps ? Je crois le voir au bout de mes doigts ou de mon nez. N’est-ce pas une courte vue ? Que serais-je sans l’air qui m’entoure ? Je ne peux vivre sans les éléments. Dieu vient-il nous préparer une éternité en nous arrachant à ce qui nous permet de vivre ?

Sans doute, chacun d’entre nous ne peut-il répondre à la question, sinon en termes d’intuition spirituelle ou de sensibilité personnelle à ce que l’on appelle l’écologie et qui correspond, plus classiquement, à la question de la créature et de la création. Le Concile Vatican II- pardonnez-moi de citer dans ce temple le magistère de notre Eglise catholique, toutefois dans son expression collégiale- a cette belle formule : « la Création sans le Créateur s’évanouit » (GS 36). La formule latine est plus suggestive : Creatura sine creatore evanescit (devient évanescente).

Qu’est-ce que l’Agneau de Dieu pour vous ? Qu’est-ce que la Colombe du Jourdain ? Seulement des images données par Jean le Baptiste ou bien des créatures investies à nouveau par le Seigneur, Créateur des êtres visibles et invisibles.

Ne sont-ce pas d’abord des symboles et que des symboles ? Penser ainsi risque de nous éloigner d’une incarnation dont la mesure ne peut être que le cœur infini et aimant de Dieu, dont la démesure ne peut exclure la plus petite des étoiles que notre astronaute normand peut contempler plus à loisir que nous. Nous venons d’ailleurs de quitter les mages et leur étoile, qui déjà faisait entrer dans le champ de l’action divine des réalités apparemment encore bien plus éloignées de l’humain.

Ultime question pour essayer de me ramener à l’essentiel : L’Agneau de Dieu et la colombe ne sont-ils pas tout simplement des images mémorielles de l’histoire du salut commencé par la première alliance ? Certes, mais la réponse demeure : pour les fils d’Abraham ou plutôt pour les fils d’Adam, la famille humaine inclut ce qui est son milieu dont il est même issu, lui « le terrien ».

Il convient donc, frères et sœurs, de nous résigner avec joie, en accueillant l’agneau et la colombe avec foi et charité, mais aussi les plantes et les pierres. L’écologie est évangélique au sens littéral, c’est-à-dire présente dans la lettre et l’inspiration de l’Ecriture. Nous avons sans doute à étoffer notre accueil de foi et notre collaboration au salut total par un nouveau regard sur tout le créé, de nouveaux comportements et de nouveaux modes de vie.

Cet appel à changer de regard et d’attitude nous rassemble, plus encore que nos confrontations. C’est, je crois, en nous tournant ensemble vers la mission que nous nous rapprocherons, plus qu’en nous faisant face à face. Le dialogue premier est celui que nous pouvons mener ensemble, au nom de Jésus et de son Evangile face à la société. Reconnaissons d’ailleurs –en tous les cas pour ce qui est de l’Eglise catholique- que la question de l’écologie est une question qui vient davantage des interrogations de la société que de la méditation de la Parole de Dieu.

Cela, bien sûr, ne dispense pas d’accueillir l’agneau et la colombe comme des signes proposés pour accueillir les réalités spirituelles dévoilées par et en « l’homme qui est passé devant le Baptiste, et qui était derrière lui » (cf Jn 1, 30). Cette expression légitime le recours à la première alliance pour éclairer la lumière nouvelle.

Depuis Noé, les animaux sont associés au salut. Alors, la colombe devint le messager de la paix retrouvé avec les éléments qui se sont déchaînés.

L’agneau prend une place privilégiée dans l’holocauste, sacrifice de purification pour le péché. Ce n’est pas n’importe quel agneau, c’est un agneau d’un an, représentant en même temps l’innocence, la vie dans toute sa fraîcheur et la docilité. L’agneau du sacrifice est aussi l’agneau des prophètes : la docilité de l’agneau signifie la parfaite obéissance à la parole divine : « Et moi, comme un agneau confiant que l’on mène à l’abattoir, dit le prophète Jérémie, j’ignorais qu’ils tramaient contre moi des machinations » (Jr 11, 19). Dieu épargne les yeux du prophète. Il ferme les yeux sur notre péché et sa gravité.

L’agneau reconnu par Jean en Jésus est évidemment l’accomplissement de l’Agneau pascal, à la fois nourriture et sacrifice. Nos traditions catholiques et protestantes ont divergé sur l’équilibre à tenir entre ces deux sillons de vie. Puissent-elles se rapprocher sans cesse pour nous rassembler dans la fécondité du sang de l’Agneau que l’Apocalypse présente comme l’unique source de la victoire : « Ils ont vaincu par le sang de l’Agneau et par la parole dont ils ont témoigné, car ils ont méprisé leur vie jusqu’à mourir » (Ap 12, 11).

En harmonie avec l’Agneau sans tâche, apparaît la colombe. Elle nous rapproche de l’amour décrit par le cantique des cantiques : « Ma colombe, cachée au creux des rochers, au plus caché de la falaise, montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce, et charmant ton visage (Ct 2, 14) ».

Dieu désarme mais ne renonce pas, tel m’apparaît être finalement le message que nous pouvons accueillir aujourd’hui en écoutant Jean le Baptiste professer sa foi dans le Fils de Dieu. L’Agneau et la Colombe sont désarmés devant la cruauté de bien d’autres animaux. Leur seule arme est leur douceur séductrice, et leur liberté, intérieure et extérieure.

St Paul a compris à quelle hauteur et à quelle profondeur le Fils de Dieu nous appelait en descendant dans l’univers infra-humain : Paul s’adresse « à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre » (1 Co 1, 2). Notre horizon est la sainteté, alors même que des agneaux sont encore égorgés, alors même que des colombes sont prises dans les filets de l’oiseleur.

N’oublions pas que Jean le Baptiste est au bord du Jourdain, et que le Fils de Dieu se rendra au début de sa mission au bord du lac pour appeler des pécheurs. Il leur confiera, d’ailleurs, la mission de devenir pécheurs d’hommes. Apparaît ici le poisson, non pas pour décrire les hommes mais pour annoncer leur salut. Contrairement aux poissons qui meurent en étant retirés de l’eau, les hommes sont sauvés lorsqu’ils sont arrachés aux eaux de la mort.

Tel est le baptême qui nous unit. Plongés dans les eaux sur lesquels planent la colombe –l’Esprit Saint-, ressortis vainqueurs, relevés d’entre les morts à la suite du Fils, nous appartenons à l’unique troupeau du Seigneur, tous agneaux de Dieu. Nous marchons sur la terre, sachant que parfois nous risquons d’être encore engloutis par les eaux, mais sans renoncer à guetter la colombe qui vient du ciel.

Allons ensemble à la suite du Seigneur, avec toute l’humanité, avec toute la création !

Amen !

✠  Dominique Lebrun
Archevêque catholique de Rouen.