Messe de la rentrée judiciaire – Eglise Jeanne d’Arc (Rouen) – 30 janvier 2017

Messe de la rentrée judiciaire
Lundi de la 4° semaine du temps ordinaire
Eglise Jeanne d’Arc (Rouen) – 30 janvier 2017

Lectures de la messe : Lecture de la lettre aux Hébreux (11, 32-40) ; Ps 30 ; Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (5, 1-20)

Homélie

Un magistrat instructeur ou bien un avocat, entendant ce récit, ne pense-t-il pas au propriétaire du troupeau de porcs ? Deux milles bêtes noyées et précipitées dans la mer (cf. Mc 5, 13) ! Qui est responsable voire coupable ? Sans parler du dommage direct, il faut penser à la cascade d’actions judiciaires qui en découleront, du côté des fournisseurs ou des clients qui ne seront pas livrés. Il y aura bien de la matière au civil, au pénal ou pour le tribunal de commerce voire le tribunal administratif si quelque arrêté intempestif venait à ponctuer le tout.

Frères et sœurs, rassurez-vous : « Tout le monde était dans l’admiration », dit l’Evangile à la fin (Mc 5, 20). L’affaire se termine bien et ne surchargera pas les prétoires. Alors, ne serions-nous pas, précisément, dans un autre monde ? Notre Evangile ne nous fait-il pas s’évader de notre condition humaine. La justice des hommes a-t-elle à voir avec la justice de Dieu ?

Nous avons affaire à un récidiviste : « on l’avait souvent attaché … mais il avait rompu les chaînes … et personne ne pouvait le maîtriser » (Mc 5, 3-4). Le combat contre le mal est lancinant. Légitimement, vous pouvez baisser les bras. Le chrétien, à la suite de Jésus, ne le peut pas. Il ne le peut pas car il voit dans celui qui commet le mal l’homme, la femme, une personne qui s’est laissé prendre voire envahir par un esprit impur. Mais le mal n’est pas la nature de l’homme !

Votre rôle, acteurs, auxiliaires de la justice des hommes, est de démêler ce qui ne doit pas être mêlé. Jésus est venu pour cela.

Lorsque l’homme voit arriver Jésus, il lui dit : « Que me veux-tu ? » (Mc 5, 6). Littéralement, le texte grec dit : « quoi à nous et à toi ?», autrement dit : qu’avons-nous en commun ? On pourrait traduire aussi : De quoi te mêles-tu ?

Jésus vient mêler sa nature divine à la nature humaine, dans sa personne de Fils de Dieu. Ce grand mystère de la foi chrétienne est le fondement de l’éthique, de la justice et de l’espérance chrétienne. Le démon le comprend ; il s’était comme emparé de notre humanité. Il n’a plus qu’à se retirer dans les animaux, les animaux réputés les plus impurs qui se précipitent dans la mer, lieu du schéol, lieu de la mort définitive.

Portons-nous cette espérance ? La portons-nous d’abord pour nous-mêmes, pour notre vie personnelle, familiale, professionnelle ? Il nous arrive de désespérer de nous-mêmes, pensant que nos défauts ou nos péchés sont inévitables. Ce n’est pas le point de vue de Jésus. Il peut aussi nous arriver de désespérer de notre groupe humain, renonçant à lutter ou esquivant les combats contre les péchés structurels, par exemple des tribunaux ou des cours. Ce n’est pas le point de vue de Dieu.

Il n’y a guère d’autre manière d’adopter le point de vue de Dieu qu’en méditant et priant. Prier, c’est laisser l’Esprit saint purifier notre regard, notre intelligence, notre cœur, c’est le laisser nous envahir, de sorte que les mauvais esprits -appelons-les tentations- s’en aillent.

 

Prier, ce n’est pas fuir. Notre homme délivré a eu cette tentation en suppliant Jésus « de pouvoir être avec lui » (Mc 5, 18). Jésus l’envoie en mission : « Rentre à la maison, auprès des tiens, annonce-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde » (Mc 5, 19).

« Il se mit à proclamer … ce que Jésus avait fait pour lui, et tout le monde était dans l’admiration » (Mc 5, 20). C’est par le témoignage de cet homme que ceux qui « supplient Jésus de quitter le territoire » (Mc 5, 17) furent transformés : « tout le  monde était dans l’admiration ».

Cet été, un homme a rendu témoignage au prix de son sang, le Père Jacques Hamel. L’Eglise a essayé de témoigner en éloignant les démons de la vengeance et de la violence. Nous avons vu alors comment « tout le monde était dans l’admiration » comme l’a évoqué M. le procureur général dans son discours de rentrée.

Frères et sœurs, nous bénéficions tous de l’œuvre libératrice et salvatrice de l’Esprit Saint. Savons-nous en témoigner simplement et joyeusement ?

Ce soir, notre présence à l’Eucharistie témoigne de notre foi en l’action de Dieu qui vient démêler nos vies, et les mêler à la sienne : « Comme cette eau se même au vin, puissions être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité », entendrons-nous au moment d’offrir le sacrifice. Rendons grâce !

✠  Dominique Lebrun

Archevêque de Rouen.