Pardon ?

Retransmission
de la pièce de théâtre « Pardon ? »

Vendredi 22 octobre (20h)
Chapelle de la Maison paroissiale de Eu – 12 rue de l’Hospice
puis échange avec l’auteur en visio-conférence

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Interview de l’auteur

Violé par un prêtre lorsqu’il était enfant, Laurent Martinez a écrit une pièce de théâtre, « « Pardon ? », qui a été jouée le 24 septembre à Déville-lès-Rouen, à l’initiative du diocèse. Nous l’avons interrogé quelques jours avant la remise du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, le 5 octobre.

Pourquoi avez-vous écrit cette pièce de théâtre ?

Cette pièce s’inscrit à la fois dans mon histoire personnelle et dans mon parcours professionnel. En 2015, j’étais inscrit au Cours Florent, j’y prenais des cours de théâtre et je sentais que ce « truc », cette blessure, m’empêchait de jouer correctement. Je l’avais enfouie mais elle était encore là. J’ai subi un viol à l’âge de 8 ans et je ne parvenais pas à en parler, le poids du regard m’en empêchait. J’ai voulu m’en débarrasser en le révélant. C’est de là que vient cette pièce.

Vous n’en aviez pas parlé auparavant ?

À l’époque, j’avais fini par le dire à mes parents. Ils sont intervenus auprès de l’évêché, le prêtre a été déplacé et on n’en a plus parlé. L’affaire était close. Mais non, pour moi, elle n’était ni close, ni réglée. J’ai grandi avec elle sans en parler : ces choses-là sont taboues. À l’âge adulte, j’appréhendais de me retrouver seule avec une femme, d’avoir une relation sexuelle avec elle. J’ai tenté de compenser en buvant plus que de raison lors des soirées entre amis. Voilà quinze ans, je suis allé voir un psychologue, une dizaine de séances, mais ça s’est mal passé, j’ai préféré arrêter.

Au regard des faits commis et de leur nombre, pensez-vous que ces abus sexuels sont le fait d’individus « égarés » ou qu’ils révèlent, plus profondément, un «dysfonctionnement » propre à l’Eglise, une faille ?

C’est une vraie question, mais je n’ai pas la réponse ! Je peux juste donner un avis personnel. Je pense que le sacrifice personnel demandé au prêtre quand il entre en sacerdoce est au-delà de l’humain. La nature humaine est aussi animale. Je veux bien croire que, dans l’enthousiasme des débuts, ce sacrifice soit consenti sans trop d’efforts ni de difficultés. Mais je pense qu’au bout d’un certain temps, cette question, celle de la vie sexuelle, surgit forcément. On n’en parle pas mais j’imagine que, pour un prêtre, cette lutte interne, qui questionne son engagement et jusqu’à sa foi, peut être épuisante. Il faut une force de caractère exceptionnelle pour résister à cette tentation somme toute naturelle. Sinon, il peut y avoir des dérapages…

Mais de tels « dérapages », de tels abus, sont souvent commis au sein des familles, y compris et le plus souvent par des hommes mariés, des pères…

Je ne dis pas que le célibat des prêtres explique ces abus mais c’est un aspect du sujet… Mais je vous l’ai dit, je ne prétends pas connaître la réponse. Je crois surtout qu’il faut accompagner tous ceux qui sont soumis à ces pulsions, qu’il faut prêter attention à leurs souffrances avant qu’ils ne passent à l’acte – qu’ils soient prêtres ou non. Il y a des « pédophiles abstinents », il ne faut pas les abandonner à leurs tentations afin d’éviter qu’ils fassent des victimes. Peut-être que l’Eglise n’a pas assez pris en compte cette dimension du problème.

Quel est le message de votre pièce ?

Il y a le message et le témoignage. Le témoignage, c’est mon histoire, celle que j’ai trimballée pendant toutes ces années et qui apporte du crédit au message. Et le message, c’est : « Brisons ce silence, libérons la parole ! » Tout commence par là. Ma pièce est un encouragement à une démarche positive. L’Eglise s’est décidée à faire la lumière sur ces abus. La création d’une commission indépendante, la Ciase, est une bonne chose ; des cellules d’écoute ont été mises en place (fonctionnent-elles bien ?) ; j’ai participé à des groupes de travail avec les évêques… J’espère que le soufflé ne retombera pas. Ce que font Mgr de Moulins-Beaufort, Mgr Lebrun et les évêques qui osent en parler, c’est formidable ! Et l’accueil que le public nous a réservés, à Rouen comme à Reims, nous a réchauffé le cœur. Mais je vois bien aussi qu’il y a des réticences chez certains prêtres, certains laïcs… Pourquoi ? Ce n’est pas à moi de répondre, ni de faire la leçon à quiconque. Mais il serait dommage et même destructeur que le message de l’Eglise qui prône l’entraide, l’altruisme, l’amour (rien que de belles valeurs !), que ce message soit altéré par un silence gêné ou par un cœur blindé. Comme le dit sœur Blandine dans la pièce : « La véritable indifférence n’est pas de ne rien regarder, mais de ne rien ressentir ».

Que faut-il faire ? Qu’attendez-vous de l’Eglise ?

Il n’y a pas une seule réponse. Il y a la réparation, qui commence par l’écoute des victimes et la prise en compte de leurs souffrances. Il y a la prévention pour éviter les passages à l’acte, et il y a l’action envers les victimes comme envers les coupables. La clé, c’est vraiment libérer la parole. À partir de là, les choses s’enchaîneront. Des initiatives seront prises, auxquelles on ne pense même pas aujourd’hui.

Le titre de votre pièce comporte un point d’interrogation : « Pardon ? » Vous-même, avez-vous pu pardonner ?

Je dois vous faire une confidence. Nous avons joué la pièce à Reims et, pendant les échanges avec les spectateurs, je me suis dit que je pourrais pardonner si l’on me demandait pardon. Pas le prêtre qui m’a violé, et qui sans doute est mort aujourd’hui, mais Mgr de Moulins-Beaufort, au nom de l’Eglise. J’ai beaucoup hésité à le lui demander, mais cela s’est imposé à moi. Et Mgr de Moulins-Beaufort m’a demandé pardon, au nom de l’Eglise. Il a eu ce courage. Et j’ai pardonné. Et depuis, je suis libéré d’un poids ! Vous ne pouvez pas savoir le bien que cela m’a fait…

Propos recueillis par Fabrice Madouas (revue Eglise de Roue